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Moqueries diverses. Réflexion politique, littéraire, philosophique. Déblaiement global. L'air du temps reniflé.

Mai 68 à la poubelle ? (Capricciocratie)

« Les révolutions sont fauchées dans la fleur, ou elles réussissent trop vite »

                                                                                                   Henry Miller -

  De 68 faut-il tout jeter ? Tout garder ? Bonjour l’art de la nuance… En tous cas, on remue la question ces temps-ci !… La ligne zemmour en ferait bien la source déconstructrice qui a tari tout espoir de bonheur et de justice. Pitié ! Vite ! Un coupable ! Qu’on comprenne, qu’on puisse condamner, donner un sens à tout ce gâchis ! Ah, le bouc-émissaire !… S’il n’existait pas celui-là, il faudrait l’inventer. Jésus, reviens !… 

  68 donc, préliminaire d’un préliminaire, an 0 d’une ère de la décadence, de la dangereuse amplification de « l’espace » du désir individuel au détriment de l’immuable cohésion pacifique d’une société traditionnelle, stable et vertueuse, cohérente, séparée, sachant qui elle n’est pas. Au détriment des Valeurs !… 

  68, intronisation d’une élite corrompue qui veut remplacer de saintes valeurs ayant fait leur preuve par nos pulsions infantiles, bien plus favorables à l’Omni-Marché Global, et dès lors condamner l’individu au politiquement correct dans la guerre de tous contre tous. 

 Qu’en est-il vraiment ? Politiquement correct ou indécence obligatoire ? Transgression des valeurs ou valeurs de la transgression ? De quel poison parle-t-on ? De quel miracle se revendique-t-on ? Essayons simplement de voir ce qu’il y a derrière son masque. Nous verrons ensuite quelle impression nous fait son visage.

 N’est-il pas heureux, souhaitable, salutaire que l’être humain en tant qu’individu ait aspiré, réussi à s’émanciper quelque peu d’étroites lubies d’un autre temps ? A se libérer de contraintes familiales, sociétales, sexuelles, religieuses, politiques désormais perçues comme inhumainement rigides, obsolètes ?

 Sans aucun doute ! Mais que s’est-il passé ? Avec ce fanatisme propre au converti de fraîche date, il semble que toute cette sublime énergie libératrice se soit engouffrée dans l’unique et petit bout de la lorgnette du droit à. Aujourd’hui on a le droit, avant on n’avait pas le droit. C’est donc mieux aujourd’hui qu’avant. Avant, ça c’était interdit, sous entendu : pfff les barbares, les coincés, les ploucs. Ah j’ai pas le droit de caricaturer le prophète ? Eh bein tiens, prends ça ! Oui mais voilà : Pan t’es mort.

 

 L’injonction à jouir sans entraves, trop ambitieuse et dont le poison publicitaire pouvait déjà faire craindre le devenir, a connu le principe de réalité, l’usure confortable d’une chaussure trop sublime, et on a finalement opté de faire semblant d’y obéir en se contentant de posséder sans entraves. De la jouissance espérée semble ne plus rester que celle de droits d’usage.

 N’est-il pas à déplorer que cette « révolution », ce « printemps » n’aient finalement conduit, selon cette loi tragique si bien sentie par Henry Miller - « les révolutions sont fauchées dans la fleur, ou elles réussissent trop vite » - qu’à cette innocente obsession de toujours accroître les « droits » de l’individu ? Peu à peu, dans la somnolence non-escomptée d’un effet-richesse pervers, la volonté de mieux répartir les droits a remplacé celle, passée sous silence, de mieux répartir la richesse. Car l’égalité offerte par la Révolution Française, Mai 68 ne l’a pas oubliée et souhaitait même lui coudre un vêtement plus ample, plus souple, plus actuel, plus original. On ne parvint finalement qu’au compromis d’un vêtement, au fond… simplement plus autorisé. La dictature du cool. De la lutte des classes on est passé, au nom des droits de l’individu et en vertu d’un généreux partage de l’indignation hypocrite, à la lutte de tous contre tous par la surveillance de tous par tous, vive les réseaux sociaux.

 De cette splendide liberté, aussi fièvreusement, passionément, courageusement, légitimement, rêveusement acquise, que reste-t-il lorsqu’elle devient en réalité le prestigieux prête-nom d’un principe qui ne nous laisse plus, en guise de champ d’exploration, d’exercice, de pleine jouissance de notre destin personnel, que le choix entre le chemin de l’autorisé et celui du non-autorisé ? Ne reste que l’enfance, plus ou moins obéissante, d’un destin. A cet égard, et c’est croustillant, regardez comme sur le terrain de l’art, cet autorisé déguisement qui singe la liberté a parfaitement accompli son humble magie révolutionnaire. Regardez comme le Véritable Artiste, désormais, s’occupe bien sagement, dans sa niche, de transgresser. L’autorisé, le non-autorisé, vous dis-je ! Le légal et l’illégal. Ah ! J’oubliais la norme, et la pas-encore-norme. 

 Qu’est devenue cette liberté qui selon Heidegger « est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un dévoilement » ?

 Adieu vieilles dichotomies, adieu nouvelles ambivalences, adieu dialectiques tarabiscotées ! Adieu bien et mal, beau et laid, bon et mauvais, convenable et scandaleux, adieu souhaitable et à craindre, envisageable et impossible, vérité et illusion, juste et injuste, volonté et abandon ! Adieu féminin et masculin, yin et yang, inclusif et exclusif, fini et infini ! Adieu gagner et perdre, penser et subir, ouvrir et fermer, jouir et ne pas jouir, être et avoir ! Adieu ! To be or not to be… Don’t worry be happy ! Vous vous êtes enfin libérés de tous ces possibles aux combinaisons infinies, quel intolérable, inutile, passéiste carcan ! Bravo ! Branchez vos GPS, jouissez sans entraves, Droit et Pasdroit vous montreront le chemin, cependant, bien-sûr : interdiction d’interdire, n’aspirez plus, revendiquez, souriez vous êtes filmés, vous et votre droit à l’image faites un si beau couple, voilà, oui, parfait, très sexy, ne bougez-plus, dites « dispinible », 3 2 1, mirifiques magnifiques ! 

 

 En passant, le principe de la démocratie selon lequel une minorité doit accepter de se soumettre à la loi de la majorité s’est peu à peu inversé au point que la majorité ait parfois le sentiment de vivre sous le joug de minorités, quelles que diverses soient leurs revendications d’ailleurs, ce n’est pas le problème. Le vrai cactus, le piquant hiatus, c’est que la répartition des droits en tant qu’illusion de valeur-justice absolue, ne pouvait que conduire à minoriser la majorité, neutralisée par la honte en laquelle le politiquement correct a converti sa légitimité, et à majoriser la minorité souffrante qui a le saint droit de ne plus être considéré comme telle. Partant, la démocratie implose et devient quelque chose d’autre : la minocratie ? Avalée, disparue, non représentée, la majorité, instrumentalisées, flattées, caricatura-mythifiées, provoquées, mises sous tension, les minorités, ainsi représentées.

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